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ALLOCUTION PRONONCÉE LE 19 NOVEMBRE 2018 PAR MARJORIE VILLEFRANCHE

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Allocution à la cérémonie d’émission du nouveau billet de 10$ Viola DesmondAllocution prononcée le 19 novembre 2018 par Marjorie Villefranche, membre de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, dans le cadre de la cérémonie organisée par le Bureau régional du Québec de la Banque du Canada. (Le texte prononcé fait foi).

Bonjour à toutes et à tous,

Je suis Marjorie Villefranche et je m’adresse à vous aujourd’hui à titre de membre de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Je suis également directrice de la Maison d’Haïti et je travaille depuis plus de 30 ans à l’éducation et à la participation citoyenne des populations racisées, natives et immigrantes, de Montréal.

Je remercie le Bureau régional du Québec de la Banque du Canada d’avoir invité la Commission à vous adresser la parole ce matin. C’est un honneur pour moi d’être ici, étant donné l’importance de ce lancement et son lien avec le mandat de la Commission, c’est-à-dire promouvoir les principes de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. C’est aussi important dans un contexte où vous le savez, le racisme et le sexisme sont encore bien présents dans notre société aujourd’hui.

L’histoire de Viola Desmond illustre bien les luttes qu’ont menées de nombreuses femmes racisées contre la discrimination au Québec et au Canada. Cette lutte a été menée notamment à l’aide de gestes de contestation de lois et de politiques racistes, comme l’a fait madame Desmond. Mettre la lumière aujourd’hui sur sa détermination, sa dignité et son courage est un geste significatif que la Commission tient à saluer.

La Commission travaille depuis de nombreuses années sur la question du racisme et de la discrimination. Elle intervient tant par ses recherches, ses recommandations au gouvernement, ses activités de formation, ses interventions en accès à l’égalité en emploi et en protection des droits de la jeunesse, que par son service de traitement des plaintes.

Dans ses travaux, la Commission a souligné plusieurs fois l’importance de replacer le racisme et la discrimination dans le contexte sociohistorique du Québec. En tant que société, nous devons assumer notre passé colonial et esclavagiste, un pan de l’histoire trop longtemps et trop souvent occulté. Car oui, le racisme fait partie de l’histoire du Québec et du Canada. En plus de l’esclavage des Noirs et des Autochtones qui a eu cours en Nouvelle-France, des dispositions législatives discriminatoires fondées sur la « race », l’origine ethnique ou nationale, la religion et la langue étaient en vigueur jusqu’en 1967.

Il est essentiel de comprendre comment la discrimination s’est institutionnalisée et systématisée à travers des normes, des politiques et des pratiques qui persistent encore aujourd’hui pour pouvoir les corriger. D’où l’importance de parler de discrimination systémique.

Si on regarde la situation des femmes noires aujourd’hui, on constate que nous avons collectivement encore beaucoup à faire pour honorer la mémoire de Viola Desmond.

Plusieurs indicateurs socioéconomiques démontrent que les femmes noires font partie des groupes vulnérables de la société. Elles n’ont pas accès au travail en toute égalité. Leur taux de chômage est deux fois plus élevé que celui des femmes québécoises qui n’appartiennent pas à une minorité visible (12,5 % contre 5,5 % en 2016). De plus, leur revenu total moyen (31 074 $) est bien inférieur à celui de la population totale québécoise (42 546 $) et à celui des femmes n’appartenant pas à une minorité visible (37 180 $); la fréquence du faible revenu des femmes noires est presque deux fois plus élevée que celui des femmes n’appartenant pas à une minorité visible (24,7 % contre 13,9 % pour 2015).

Dans ses champs d’intervention, la Commission est à même de constater les obstacles systémiques qui compromettent le droit à l’égalité des femmes noires et de leur famille. En plus de la difficulté d’accéder à un emploi convenable et durable qui leur assure des conditions de travail justes et raisonnables et un niveau de vie décent, elles n’ont pas toujours accès au logement en pleine égalité. Elles doivent faire également face à des situations de profilage racial qu’elles-mêmes ou les membres de leur famille subissent dans la société québécoise, notamment dans le secteur de la sécurité publique, du milieu scolaire et du système de protection de la jeunesse.

La discrimination vécue par les femmes noires au Québec est de nature systémique. Plusieurs d’entre elles, en situation de vulnérabilité, ne sont pas uniquement discriminées parce qu’elles sont femmes ou noires; elles le sont sur la base de l’effet du cumul et de l’intersection de motifs de discrimination interdits par la Charte tels que la condition sociale, la « race », la couleur, l’origine ethnique ou nationale, le sexe, l’état civil, etc. C’est pourquoi la Commission insiste sur la prise en compte de l’approche intersectionnelle et du caractère systémique de la discrimination dont sont victimes les personnes racisées pour continuer à avancer vers l’égalité réelle. En ce sens, l’histoire de Viola Desmond constitue une source d’inspiration indéniable.

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